Au moment de la découverte du Canada par Jacques Cartier, ou lorsque Champlain a fondé Québec, il ne semble pas que le site de Matane était habité de façon permanente par quelque groupe d’Amérindiens. À ce jour, aucune découverte archéologique n’a démontré une quelconque occupation humaine de longue durée pour ce coin de la Gaspésie à un moment ou à un autre.
Cependant, il est tout à fait certain que le site de Matane a été, depuis fort longtemps, un lieu de passage emprunté par les Amérindiens de la Gaspésie qui voulaient se rendre sur la côte nord, ou ailleurs dans la vallée du Saint-Laurent; tout comme ce site a été utilisé par les Amérindiens de l’extérieur qui voulaient venir chasser l’orignal en Gaspésie. En effet, le réseau des rivières Matane et Matapédia constituait une route plus facile pour traverser la Péninsule gaspésienne, et cette même route était régulièrement fréquentée par les Micmacs de la Baie-des-Chaleurs, ou les Montagnais de la Côte Nord, ou les Malécites du Nouveau-Brunswick.
Dans leurs déplacements, les Amérindiens s’arrêtaient sur le site de Matane, sans doute pour se reposer avant d’entreprendre une autre étape de leur voyage, mais aussi pour faire des provisions de saumons, d’anguilles ou autres. Ainsi, Matane constituait une escale régulièrement fréquentée, où l’on pouvait rencontrer facilement des Amérindiens. Même les navigateurs européens, lorsqu’ils sont arrivés en Nouvelle-France, ont noté le site de Matane ; ils s’en servaient comme point de repère sur leurs cartes ; on peut supposer qu’ils s’y arrêtaient parfois pour refaire leur provision d’eau douce, en profitant de l’accès facile qu’offrait l’entrée de la rivière Matane.
Il existe des preuves que l’embouchure de la rivière Matane a été le théâtre d’activités de pêche, de chasse aux mammifères marins, ainsi qu’au commerce des pelleteries avec les Amérindiens. Ces activités étaient pratiquées par des marchands de La Rochelle, qui déjà en 1600, faisaient valoir auprès du Roi de France les intérêts qu’ils avaient depuis longtemps de traiter avec les « naturels » dans cette région.
En 1772, la seigneurie de Matane a été concédée à Mathieu d’Amours pour faire, entre autres choses, la traite avec les Amérindiens. Plus tard, en 1784, lorsque la seigneurie de Matane était la propriété de Donald McKinnon, celui-ci a dressé une liste de ses débiteurs sur laquelle apparaissaient 36 noms d’Amérindiens qui s’étaient endettés par rapport au seigneur McKinnon. Est-ce que ces Amérindiens habitaient à Matane de façon permanente? Il semble bien que non, puisque plusieurs de ces personnes figuraient aussi au recensement de 1765 effectué à Ristigouche. L’explication la plus plausible est la suivante : à cette époque, les Amérindiens micmacs étaient encore passablement nomades et il leur arrivait souvent de passer de bonnes périodes de temps en dehors de leur village ; de plus, il ne fait pas de doute qu’ils étaient attirés à Matane par la perspective de bénéficier de l’avantage du voisinage des Blancs, particulièrement à cette époque où leur condition de vie était fort misérable.
Dans la première moitié du 19ème siècle, plusieurs écrits nous confirment une présence amérindienne à Matane. C’est le cas notamment de l’abbé Ferland qui rapporte les visites dans la région de Mgr Plessis, en 1811 et 1812. Une fois, alors qu’ils naviguaient au large de Mont-Louis, il rapporte la rencontre d’une « famille de sauvages » qui s’en allait s’établir à Matane ; une autre fois, il note que Mgr Plessis a béni plusieurs mariages à Matane, dont celui d’un « couple de sauvages ».
En 1833, Joseph Hamel, un arpenteur du gouvernement du Bas-Canada, est envoyé pour explorer l’intérieur de la Gaspésie, en partant de Matane. On peut lire dans ses écrits que, sur les recommandations de Daniel McKinnon de Matane, il a recruté un guide micmac du nom de Nicolas Lamartre et demeurant à Tartigou, à une vingtaine de kilomètres de Matane, où se trouvait alors un campement amérindien. (Parlant de Tartigou, il ne faut pas oublier aussi que les Amérindiens ont nommé la plupart des lieux de la Gaspésie, toponymes que nous utilisons encore à chaque jour, Matane et Tartigou sont de ceux-là.)
Voilà autant de preuves qui démontrent que les Amérindiens occupent une place réelle dans le passé de Matane, même si l’histoire écrite ne leur accorde que peu d’attention. Il est possible que la présence amérindienne à Matane se poursuive encore de nos jours à travers les Matanais eux-mêmes. Au cours du 19ème siècle, il s’est opérée une certaine assimilation des Amérindiens par les Blancs. Les registres de cette époque montrent en effet un certain nombre de mariages entre hommes blancs et femmes amérindiennes. De ces unions sont nés des enfants qui ne possédaient que le statut de Blancs; plus tard, ces enfants métis se sont mêlés à la population de Matane. Des recherches généalogiques pourraient mettre en lumière plusieurs cas de familles actuelles de Matane dont les ancêtres sont issus de ces unions. Qui sait ? C’est peut-être votre cas….
Claude Otis
Sept. 2010