Les débuts du peuplement de la seigneurie de Matane, à la fin du 18ème siècle, ont été associés à la navigation, puisque plusieurs des premières familles à venir s’établir à Matane étaient des familles de pilotes de navires. Parmi ceux-ci, mentionnons les noms de Jacques Forbes, François Forbes, Daniel McMullen et James Forbes qui y ont établi leur famille, alors qu’eux exerçaient leur métier de navigateur.
À cette époque, les gouvernements n’étaient pas très impliqués dans la gestion des transports, et ce domaine était laissé à l’initiative privée: ainsi, à divers endroits sur la rive sud du Saint-Laurent, puisque les bateaux naviguaient de ce côté du fleuve, des marins chevronnés dans la navigation fluviale guettaient les bateaux et allaient offrir leurs services pour remonter le fleuve et le redescendre. Matane était donc, à ce moment, un poste avancé où les pilotes pouvaient compter trouver du travail.
Les navires en provenance d’Europe faisaient toujours appel à des navigateurs d’ici, lorsqu’ils entraient dans le Saint-Laurent. Il y avait à Matane des marins expérimentés qui connaissaient parfaitement les embûches de la navigation fluviale. En hissant un drapeau rouge au sommet du mât, on donnait le signal à un pilote disponible de venir rejoindre le navire.
Il faut préciser que la navigation sur le fleuve est très différente de celle en haute mer. En haute mer, il fallait être capable de faire face aux éléments, forte mer et tempêtes à l’occasion, mais surtout il fallait savoir s’orienter sur les astres, puisqu’ils étaient les seuls points de repère. Sur le fleuve, les points de repère étaient peu nombreux, mais les obstacles, tels les récifs, les hauts-fonds et la brume étaient nombreux.
Le lieu d’opération des pilotes à Matane était un monticule, ou grosse butte de sable et de glaise (à l’endroit où se trouvent actuellement les Galeries du Vieux Port); à partir de ce lieu longtemps connu sous le nom de Cap des pilotes, ceux-ci surveillaient l’apparition d’éventuels bateaux à l’horizon. Postés dans un abri rudimentaire et équipés d’une lunette d’approche, ils surveillaient les navires en provenance de l’Est et se dirigeant vers le Haut du St-Laurent. Lorsqu’il s’en présentait un, on sautait dans une barque et on allait à sa rencontre, dans l’espoir d’arriver le premier et d’être engagé, car il arrivait parfois qu’on était plusieurs à convoiter le poste.
Au milieu du 19ème siècle, l’intensification du commerce entre l’Angleterre et ses colonies va amener les autorités à se préoccuper de la sécurité maritime. C’est pourquoi, sous le gouvernement de l’Union ou du Canada-Uni, à partir de 1841, et aussi avec la création du Canada, en 1867, on assiste à la prise en charge par le gouvernement fédéral de tout le domaine maritime et la mise en place du ministère de la Marine et des Pêcheries. On voit alors s’implanter sur le Saint-Laurent tout un réseau de services à la navigation, pour guider les navires qui y transitaient : balises, bouées et phares aux endroits stratégiques et même des dépôts de provisions pour les naufragés. Entre 1867 et 1870, 26 phares seront érigés dans l’Est du Québec, en plus de tout un réseau de bouées et de balises. Quant à Matane, son premier phare sera en opération en 1873.
Au début du 20ème siècle, tous les pilotes devront travailler à partir de la station de Pointe-au-Père ; plus tard la station de pilotage sera transférée aux Escoumins. Pour ce qui est du Cap des pilotes, il disparaîtra complètement au cours de la seconde moitié du 20ème siècle, puisqu’il servira de matériau de remplissage pour divers travaux d’infrastructure.
Claude Otis
Mars 2011