Dans une capsule historique précédente, nous avons vu que les débuts du peuplement de la seigneurie de Matane, à la fin du 18ème siècle, ont été associés à la navigation, puisque plusieurs des premières familles à venir s’établir à Matane étaient des familles de navigateurs. Rappelons que la navigation sur le fleuve est très différente de celle en haute mer : en haute mer, surtout à l’époque des pionniers, il fallait naviguer à la boussole, être capable de faire face aux éléments, mais aussi de bien s’orienter sur les astres, puisqu’ils étaient les seuls points de repère. Sur le fleuve, les points de repère sont nombreux, mais les obstacles aussi, tels les récifs, les hauts-fonds, la brume.
C’est pourquoi, les navires en provenance d’Europe faisaient toujours appel à des navigateurs d’ici, lorsqu’ils entraient dans le Saint-Laurent. À cette époque, les gouvernements n’étaient pas très impliqués dans la gestion des transports, et ce domaine était laissé à l’initiative privée. Ainsi, à divers endroits de la rive sud du Saint-Laurent, des navigateurs chevronnés dans la navigation fluviale guettaient l’arrivée de bateaux et allaient offrir leurs services pour remonter le fleuve et le redescendre. Matane était donc, à ce moment, un poste avancé où les pilotes pouvaient compter trouver du travail et ils y laissaient leur famille en permanence.
Parmi ceux-ci, mentionnons les noms de Jacques Forbes, François Forbes, Daniel McMullen et James Forbes. Aujourd’hui, il sera question de James Forbes, que les documents de l’époque nous présentent comme James Forbaisse. Né à Matane en 1817, James Forbes était le fils du pilote François Forbes et de Marie Keable. James a appris son métier en travaillant avec son père, mais il a sans doute suivi un apprentissage plus approfondi auprès de maisons spécialisées, puisqu’il est désigné dans les textes de l’époque comme maître-pilote pour le fleuve St-Laurent, ou comme capitaine au long cours.
Il demeurait au Petit-Matane, mais comme tous les autres pilotes, son « lieu de travail » était le Cap des Pilotes, ce petit monticule aujourd’hui disparu, situé près de l’embouchure de la rivière Matane, là où se trouve le Centre commercial « Les Galeries du Vieux Port ». Posté dans un abri rudimentaire et équipé d’une lunette d’approche, il surveillait les navires en provenance de l’Est et se dirigeant vers le Haut du Saint-Laurent. Car les capitaines des vaisseaux étrangers réclamaient les services d’un pilote expérimenté dans la navigation du Saint-Laurent et, en hissant un drapeau rouge au haut du mât, ils donnaient ainsi le signal à un pilote disponible de rejoindre le navire.
James Forbes parlait trois langues: le français, l’anglais et l’allemand, ce qui lui donnait sûrement un avantage, puisqu’il a eu l’occasion, à plusieurs reprises, d’être embauché par des compagnies européennes de navigation, de même que par l’Amirauté britannique (la marine militaire). Ainsi, il a navigué non seulement sur le fleuve St-Laurent, mais aussi sur l’Atlantique, la Mer du Nord, vers les pays scandinaves et la Russie.
En dépit de ses nombreux voyages, James Forbes fut le père de dix-sept enfants: quatre avec sa première épouse, Elizabeth Grey, une infirmière originaire de Londres, et treize avec la seconde, Adélaïde Otisse. Il est décédé au Petit-Matane, en 1907, à l’âge vénérable de 90 ans.
Claude Otis
Mai 2011